Le juriste : simple pompier ou acteur clé de l’entreprise ?

En Afrique noire francophone, le juriste d’entreprise n’a pas complètement reçu la reconnaissance qui devrait être la sienne. Le recours à l’expertise du juriste a encore du mal à entrer dans les mœurs. Plusieurs raisons peuvent justifier cette attitude.

D’abord, on peut observer que le tissu économique africain est constitué en grande partie d’entreprises de petite taille : PME/PMI. Pour des raisons essentiellement financières, ces entreprises hésitent à s’attacher les services d’un juriste d’entreprise. Elles préfèrent recourir ponctuellement aux prestations d’un juriste, et souvent, c’est en dernier ressort, lorsque le contentieux est devenu inévitable.

Ensuite, il y a le poids de la colonisation. En effet, à l’opposé du système anglo-saxon dans lequel le juriste occupe une position stratégique au sein de l’équipe managérial, le juriste francophone traîne encore l’image du « pompier », c’est-à-dire de celui qu’on appelle une fois l’erreur commise.

Dans le monde anglo-saxon, le juriste fait partie de l’équipe de direction. Rattaché directement au Président ou au Directeur Général de la société, il est associé à toutes les décisions majeures de l’entreprise, ce qui est moins évident dans le monde francophone. En effet, dans la plupart de nos entreprises, le juriste qui est le plus souvent rattaché à la direction financière n’est consulté qu’à la fin du processus décisionnel. Et lorsqu’il émet une objection, il est accusé de « bloquer les projets » au lieu d’y apporter des solutions. Il est regardé comme celui là qui voit le mal partout, qui empêche de tourner en rond.

L’époque où le juriste intervenait pour sauver les meubles est révolue. En effet, face à la complexité croissante des lois et des réglementations, face à la mondialisation des échanges, le juriste est devenu un personnage fondamental de la vie des entreprises. Il est appelé à jouer un rôle autrement plus intéressant et stratégique que celui de « pompier » dans lequel on l’a longtemps confiné.

Aujourd’hui, le risque juridique fait  l’objet d’un véritable management. La mission du juriste a considérablement évolué. En dehors du rôle curatif, le juriste joue un rôle préventif et un rôle stratégique au sein de l’entreprise.

1. Le rôle curatif du juriste d’entreprise

Ce rôle se résume principalement à la gestion du contentieux de l’entreprise. En cas de contentieux, le juriste est chargé de défendre les intérêts de l’entreprise, le plus souvent en interface avec un avocat qui plaidera le dossier, et avec lequel il collabore pendant l’instruction du dossier.

Cette activité incontournable est liée de façon assez négative à la fonction, car certaines entreprises continuent de confiner le juriste d’entreprise à un rôle curatif. Pour elles, le juriste d’entreprise, c’est l’homme du contentieux.

Or, le rôle du juriste d’entreprise est d’abord préventif avant d’être curatif. En effet, le procès est toujours un échec car il amène à dépenser du temps, de l’énergie et de l’argent dans une activité qui n’est pas celle que l’on attend d’une entreprise. Une bonne politique de prévention permet donc d’éviter ce procès.

2. Le rôle préventif d’entreprise

Le juriste a pour mission première d’assurer la sécurité juridique de l’entreprise. C’est lui qui va aider le chef d’entreprise à maîtriser les risques juridiques avant les prises de décisions et faire du droit un outil stratégique pour le développement de l’entreprise.

Le juriste est passé d’une fonction de mise en forme à une fonction de décision. Il représente la « conscience » de l’entreprise, c’est en quelque sorte le « gardien du temple ». Le droit est un élément de la décision de management, parmi d’autres, et au même titre que la stratégie, la finance ou le marketing. A cet effet, il faut intégrer la réflexion juridique au processus décisionnel.

Le rôle du juriste n’est pas de décider à la place du manager, mais de l’aider à décider au mieux des intérêts de l’entreprise. Pour atteindre rapidement les objectifs qu’il s’est fixés, le manager doit prendre la bonne décision. Le rôle du juriste c’est de l’aider dans cette tâche, en veillant à ce que l’entreprise se développe dans le strict respect du droit. Pour jouer ce rôle, il doit disposer de l’information en amont. C’est en décodant cette information qu’il dispose, que le juriste va déceler des dysfonctionnements et proposer en amont des solutions préventives conformes aux intérêts de l’entreprise.

3. Le rôle stratégique d’entreprise

Le rôle du juriste ne se limite pas à la prévention. Il va bien au-delà de la prévention, car il exerce également un rôle stratégique. Spécialiste du droit, le juriste est appelé à évaluer les risques des opérations menées par l’entreprise et d’imaginer les montages juridiques les plus avantageux pour celle-ci. Sa solide formation (DESS, DEA, voire Doctorat) le prépare d’ailleurs à l’analyse pointue de situations variées.

Lorsqu’on recherche du profit, il faut solliciter les imaginations les plus fertiles. En raison de sa capacité d’anticipation des difficultés, le juriste d’entreprise doit être associé aux  négociations avec les clients ou les partenaires de l’entreprise. Il est là pour aider l’entreprise d’optimiser sa gestion. Par conséquent, il doit être consulté et écouté. Son rôle est devenu éminemment stratégique dans ce contexte de concurrence accrue et d’internationalisation des affaires.

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Comme on le constate, le rôle du juriste s’est affirmé et développé et continuera sans nul doute d’évoluer. Par conséquent, la société, surtout la nôtre car en France ce changement est déjà perceptible, est condamnée à changer radicalement et constamment. Elle doit donner au juriste toute sa place.

Aussi vrai qu’il est impossible de remplir d’eau un panier troué, il est illusoire d’espérer faire vivre et prospérer une entreprise sans une maîtrise effective du risque juridique. De nos jours, le manager moderne ne peut faire l’économie de s’attacher les services d’un juriste avisé en tant qu’une personne clé du processus décisionnel. Le droit est au cœur de l’entreprise et, le juriste y est indispensable. Pour avoir été sourdes conseils de leurs juristes, beaucoup d’entreprises l’ont appris à leur dépend.

Henri-Joël TAGUM FOMBENO
Docteur d’Etat en droit

Le terme « juriste d’entreprise » s’applique à l’ensemble des professionnels ayant en charge le volet juridique de l’entreprise.

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